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Карцев Александр Иванович
Des païens

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    Translation: Dumortier Natalia http://tradrussefr.jimdo.com/

Des païens


Traduction: Dumortier Natalia, http://tradrussefr.jimdo.com/


Mon vif remerciement

à mon ami Volodia Oleinik

qui m"a poussé à écrire cet article.


Il est trop ambitieux de notre part de croire que l"on connaît bien le monde dans lequel nous vivons, il suffit prendre un peu de recul et on voit à quel point on l"ignore.

Juste avant mon départ en Afghanistan, mon professeur (éclaireur et écrivain réputé) Alexandre Tshiolokhov m"a offert un livre - recueil de contes afghans. " Si tu veux comprendre un peuple, lis ses légendes " - m"a-t-il dit. Il m"a conseillé de ne jamais oublier que mes nouveaux " amis " parlaient la même langue que Ferdowsî, Avicenne et beaucoup d"autres sages du Grand Passé. Et que le pays où j"allais est loin d"être simple, comme ce que je pensais au début.

Ça faisait déjà 7 ans que l"Afghanistan était en guerre. Le long des routes par lesquelles avançaient nos colonnes de combat, nous voyions des villages afghans et ses habitants. Il était difficile d"avoir un jugement juste sur ses gens qui, le jour, travaillaient à la sueur de leur front, sur leurs minuscules lopins de terre, et la nuit nous tiraient dans le dos. Mais on ne pouvait pas avoir de doutes sur leur incroyable application et leur acharnement au travail. Et malgré ça- la pauvreté désespérante, pénurie, une misérable économie naturelle et des parcelles de terre retournées à la main, avec des araires en bois et morceaux de ferraille... Les raisins secs, qui étaient souvent les seules devises dans les kichlaks (village en Asie Centrale), échangeables contre des aiguilles, sel, allumettes, bois à chauffer (et oui, le bois est l"une des marchandises des plus courantes en Afghanistan) et d"autres articles de première nécessité. Absence d"hôpitaux et d"écoles dans la plupart des villages. Analphabétisme absolu à la campagne. Tel est resté ce pays dans les souvenirs de mes camarades.

A l"époque, on ne pouvait même pas supposer qu"à quelques kilomètres de là, il existait une autre vie : de belles maisons, jardins luxueux avec des fontaines sous un ciel éblouissant et surtout sans signe de guerre. J"ai eu de la chance de voir une autre face de l"Afghanistan, de connaître d"autres Afghans et ce qu"ils cachaient avec beaucoup de précaution pendant des années et des années et qui reste toujours bien caché des yeux étrangers.

Cette histoire a commencé le jour où mes collègues du service de renseignement militaire m"ont parlé d"un homme avec qui j"allais travailler coude à coude pendant 26 mois, d"un " simple " dekhkan (paysan d"Asie Centrale), promu d"Oxford, ancien professeur à l"Institut Polytechnique de Kaboul qui a travaillé en Chine et au Japon !

Est-ce que vous avez pensé à de tels "simples dekhkans" et combien on en croise dans les rues des villes afghanes, des kichlaks, à la montagne ? On en croise sans s"en rendre compte, tellement ils sont discrets, " camouflés " dans leurs robes plus qu"ordinaires. Ainsi, mon destin militaire m"a offert une rencontre avec un brillant descendant d"une très ancienne tribu née de la campagne indienne d"Alexandre de Macédoine, tout un peuple né des descendants de ses soldats, héritier de sa gloire et sa grandeur...


Dans les "Secrets d"une tribu des montagne", j"ai déjà un peu raconté l"histoire des Kalashs, plus précisément de cette partie de la tribu qui, pendant la croisade " civilisatrice " de l"émir de Kaboul Abdourakhman-khan de 1895, avait déménagé au nord-est de l"Afghanistan. Quand cet émir a voulu attaquer les Kalashs, ils se sont montrés malins : ils ont ramassé tout ce qui était de valeur et ce qu"ils pouvaient emmener de chez eux et ont disparu. Cet Abdourakhman-khan n"a eu qu"une poignée de pauvres centenaires restés dans les kichlaks abandonnés, pour les convertir à la religion "véritable"...

Pendant ce temps-là, les Kalashs eux-mêmes sont passés légèrement à gauche de l"armée de l"émir, ont bien " déchargé " ses convois en surprenant les rares forces militaires, pour s"installer ensuite pour plusieurs années sur les terres de l"émir (seulement une petite partie de la tribu est revenue dans son pays). Ce type de tactique militaire, très ingénieux et sans effusion de sang, en plus, avec des résultats très profitables (les convois cambriolés ont fait un trou dans le trésor de l"émir et sa campagne a échoué ; quant aux Kalashs, ils n"ont rien perdu de leurs terres mais acquis de nouvelles) a bien vacciné, et pour longtemps, les voisins des Kalashs de leur avarice éventuelle et plus personne ne voulait leur imposer quoi que ce soit.

Oui, j"ai déjà parlé de ce peuple fantastique, de ses coutumes et ses traditions, de leur système de prévention des maladies qui double leur espérance de vie par rapport à leurs voisins. Je continue, avec plaisir, mon récit, pour aborder un peu plus leur vie privée.

En gardant la foi polythéiste de leurs ancêtres, les Kalashs ont réussi, en toute harmonie et avec beaucoup de talent à y joindre le meilleur des cultures voisines. Cela sonne comme un sacrilège, mais chez eux, Bouddha, Jésus et Mahomet faisaient partie de la grande équipe divine, restant égaux aux autres Dieux. Peut-être, les Kalashs n"étaient-il pas capables de réaliser toute la grandeur des autres religions, ou bien ont-ils trouvé, tout simplement, un autre Chemin vers la Foi ?

Quoi qu"on en dise, cette approche excluait la notion d" "apostat" chez ce peuple (vu le choix de Dieux très large sans aucune obligation, donc, une navigation facile entre Jésus et Mahomet et vice versa) et permettait aux gens de repousser les frontières de l"univers. Il est à noter que pas une seule fois dans leur histoire, les Kalashs n"ont jamais essayé de convertir quelqu"un à leur religion par force. Ils n'ont jamais pensé à organiser de croisade ou de djihâd, étant persuadés que l"on a assez de soleil, de ciel, de terre et de dieux pour tout le monde, il faut juste vivre, aimer, créer, croire au meilleur et on n"est pas obligé de tuer des gens pour vivre.

Voulez-vous dire que cela peut faire penser à la faiblesse d"âme ? Ne vous précipitez pas avec ce résumé trop facile. Les ancêtres des Kalashs étaient soldats d"Alexandre de Macédoine et savaient batailler mieux que personne. Mais leur métier de garde de sécurité, exercé durant des siècles sur la Route de la Soie, leur a appris à utiliser des méthodes douces de résolution de conflits. Dans de rares cas, quand ils étaient forcés de sortir leurs armes, ils faisaient tout pour avoir le moins de victimes possible, puisque la seule vraie richesse pour eux n"était ni terres ni or, mais leurs frères.

Ce qui est intéressant, c"est que dans cette tribu, il n"y avait pas de veuves. Si une femme perdait son mari, au bout de 40 jours de deuil, elle avait le droit de se mettre en couple avec un autre homme parmi les Kalashs. Si, ce délai passé, elle ne trouvait pas de digne prétendant à sa main et à son cœur, elle devenait épouse d"un grand frère du disparu, ce qui obligeait le dernier à adopter les enfants de son petit frère. Vous dites, trop primitive comme tradition? Peut-être. Mais est-ce que vous savez ce que c"est la solitude ? Désespérante, pour des années et des années à venir, à laquelle étaient condamnées les veuves des autres tribus. Grâce à cette coutume parmi les Kalashs il n"y avait ni veuves ni d"enfants vagabonds.

Parmi une multitude de divinités, il y en avait une à laquelle les Kalashs étaient surtout attachés : la déesse de l"Amour. Peut-être, cette préférence s"expliquait-elle par l"absence de la télévision dans cette tribu ? Avec tous nos reality-show, téléséries interminables, actualités débordantes de crimes ? Donc, si notre passe-temps préféré est de zapper les chaînes, pour les Kalashs c"était de pratiquer le culte de la divinité de l"Amour, toutes les soirées longues d"automne et d"hiver...

Comme disait mon ami spirituel Robert Shekli, nous ne sommes ni mieux ni pire que les autres, nous sommes différents. Bien sûr qu"avec toutes les différences entre nous et les Kalashs, nous avons quelque chose en commun : même aux gens les plus occupés, il arrive d"avoir, de temps en temps, 2 jours fériés par semaine. Mais les Kalashs les consacraient à leur déesse préférée. Les autres jours étaient plus simples, - les jours de la semaine tout banals... Quand la femme faisait juste un massage à son mari chéri. Ensuite le mari faisait un massage à sa femme chérie. Sans trop d"effort, les massages devenaient les jeux d"amour, qui poussaient doucement et naturellement à faire l"amour.

Cela déclenchait, d"après les convictions des Kalashs, une sorte d"énergie divine, qui devait être transformée en création artistique. Autrement dit, après avoir fait l"amour, la femme, habillée en chemise de son mari, allait aux fourneaux. Il faut dire qu"aujourd"hui aussi les filles aiment bien, après les hommages à la déesse de l"Amour, enfiler le tee-shirt de leur copain. Sauf que les Kalashs le faisaient par leur sagesse ancestrale, pour profiter des bons génies du mari, présents même dans ses vêtements. Moi, je pense qu"en réalité, ces bons génies agissaient par l"intermédiaire de la transpiration du mari qui offrait à la femme des microdoses des substances, stimulant son système immunitaire. Cela n"était pas négligeable pour ces habitants de la montagne peu accessible qui n"ont jamais connu le système sanitaire. Les Kalashs, durant des siècles, recueillaient et gardaient soigneusement non seulement toutes les méthodes de traitements des maladies, mais surtout de leur prévention.

Et donc, pendant que la femme faisait à manger, le mari faisait de la calligraphie, de la peinture, sculptait sur bois ou os, bricolait des bibelots dans sa petite forge. Pas compliqué de deviner que, inspirée par sa déesse bien-aimée et par les " bons esprits " de son mari, la femme réussissait bien ses plats, et les bricoles du mari devenaient chefs-d"œuvre.

...Toute destruction est bête et sauvage, mais la création - ça s"apprend, et l"amour y toujours sera le meilleur professeur. Une touche de " modernité " chez les Kalashs : les rôles cuisinier/artiste chez eux étaient réversibles : les maris pouvaient bien aussi faire à manger pendant que les femmes se consacraient à la création artistique, ce qui n"était pas honteux du tout. Il est vrai que certains plats sont meilleurs, lorsqu"ils sont réalisés par des hommes. En plus, c"était aussi une sorte de jeu d"amour, que les Kalashs prenaient très au sérieux, parce que sans cela, d"après eux, le monde serait trop gris et monotone.

Mais ce qui est complètement fou, c"est leur habitude de retourner dans la chambre après une petite pause, - parce que cela était en rapport avec cette drôle de philosophie " Niten " (en japonais signifie " deux ciels ") ! Les Kalashs croyaient que la deuxième fois symbolisait un autre chemin et rendait leurs sensations plus intenses et leurs capacités plus puissantes. Et tout cela était pour eux " les jours de la semaine " ! On se demande ce qu"ils se permettaient le week-end qu"ils devaient consacrer entièrement à l"amour !

Et bien... les week-ends, ils se promenaient, rendaient visite à leurs amis, se faisaient des cadeaux, restaient avec leurs enfants. Ils décoraient la maison avec des fleurs, allumaient les bougies et faisaient brûler des bâtonnets aromatiques. Ces jours-là, les Kalashs ressemblaient eux-mêmes aux divinités. Ils consacraient leur temps à leur deuxième moitié...

Oui, il y a encore quelque temps, je pensais sincèrement vivre dans le plus beau pays du monde et j"en étais fier. J"étais fier d"être compatriote de Yuri Gagarine, de construire avec mes frères et sœurs la société la plus juste du monde. Mais, rentré d"Afghanistan, je me suis surpris à me demander si tout tournait rond dans notre vie. On est tout le temps en train de défendre quelque chose, de construire, de reconstruire, mais on ne vit pas. Ils nous racontent des histoires sur les nanotechnologies, nous parlent de la nécessité du soutien du secteur bancaire, des chantiers olympiques... Ils nous en racontent des choses... C"est bien sûr important, tout cela. Mais même les meilleures idées ne doivent pas devenir une fin en soi qui permet de jeter dans le four de la guerre et des réformes des vies et des destins.

Grâce aux Kalashs, j"ai compris une chose évidente: il ne faut vivre et créer que pour les gens, tout d"abord pour les gens, pour que nos enfants et nos petits-enfants vivent longtemps et soient heureux, qu"ils vivent ici et maintenant, tout de suite et pas dans cet avenir radieux, promis sans cesse, mais qui, on ne sait pas pourquoi, n"arrive toujours pas.


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